Il y a vraiment un décalage entre l’idéologie affichée par la créatrice de la série Esther Shapiro dans ses propos tenus à la presse, et l’impression générale qui se dégage d’un programme comme Dynasty... C’est vrai qu’à première vue le message perçu est une apologie du capitalisme sauvage et inhumain des grandes corporations. Mais l’aspect le plus intéressant de cette série par rapport à Dallas, c’est l’intrusion continuelle de sous-messages d’un libéralisme inhabituel dans l’Amérique de Reagan. Les Etats Unis sont une terre de contrastes et de paradoxes et leur télévision reflète souvent cette tendance à la schizophrénie. Pour bien comprendre le phénomène, il faut prendre en compte le fait que, si la production télévisuelle se fait en majorité à Hollywood, elle s’adresse à la nation tout entière, c’est à dire 230 millions de personnes. Ceci revient à dire qu’une minorité urbaine et éduquée tire ses revenus de l’Amérique profonde, dont la culture et les aspirations ne sont pas nécessairement les mêmes. Joan Collins note d’ailleurs que les producteurs de Dynasty étaient obsédés, comme d’autres, par les réactions de cette « Middle America » , et que c’est au nom de cette entité mystérieuse, et de peur qu’on ne la comprenne pas, qu’il lui ont demandé d’abandonner son accent britannique (ce qu’elle refusa). Hollywood est continuellement en tenaille entre ses aspirations naturelles (généralement libérales) et ses intérêts économiques (par nature conservateurs : il ne faut pas choquer pour vendre). Le contexte dans lequel Dynasty voit le jour est particulier. Ronald Reagan vient d’être élu président et une ère de conservatisme politique commence. Les années 60-70 ont vu de profondes crises politiques, sociales et économiques secouer l’Amérique et la nation a besoin de retrouver confiance en elle. Le cinéma et la télévision d’alors ont mis l’accent sur les dysfonctionnement de la société contemporaine . Mais en 1980, l’Amérique veut renouer avec son rêve légendaire. L’élection de Reagan et le succès de Dallas relèvent tous deux de ce même phénomène : l’Amérique de l’époque a besoin de croire en elle-même. C’est cette vague que chevauchent avec succès les créateurs de Dynasty. Le rêve américain est celui de la libre entreprise et du succès financier comme récompense naturelle d’une vie de dur labeur. C’est l’idéal individualiste qui retrouve toute sa puissance avec la politique économique de Reagan. Dans la série, Blake Carrington est un « self-made man », il a travaillé sur les champs pétroliers pour bâtir son empire (l’arrivée de Tom Carrington atténuera cet aspect), c’est d’ailleurs ce qui en fait un homme plus respectable que Cecil et Jason Colby dont la fortune est héritée de leur père. L’idée qui se dégage de Dynasty est typique des années 80 : il n’y a plus de honte à avoir de l’argent et de le montrer. Plus typique encore est la réplique de Fallon à Krystle (ep 7), quand elle lui explique que ce qui compte, c’est l’apparence. Plus Blake a des problèmes d’argent, plus il doit faire impression autour de lui. Et c’est ce que fait l’Amérique de l’époque : elle vit à crédit. L’amertume des années 80, c’est aussi celle des interventions musclées sur la scène internationale pour défendre ses intérêts, Dynasty aussi se déplace pour donner des coups: traiter des affaires à Hong-Kong (ep. 81, 147), punir Rashid Ahmed en Turquie (ep 99), libérer Caress à Caracas (ep 156), détruire des pétroliers de Natumbe (ep 212-216)... Sans nul doute, c'est parce que Dynasty a si bien collé aux années 80 que la série n'aura pas survécu à la fin de cette décennie. Le retour à des valeurs moins matérialistes aura coûté cher aux producteurs qui n'ont pas su s'adapter, notamment en exploitant les nouvelles préoccupations du public telles que les crimes, l'alcoolisme, la drogue, les affaires liées au sexe, etc. Comme l'a écrit un journal de l'époque, le rêve américain s'est éteint en même temps que Dynasty.
Cet article est librement inspiré de l’ouvrage de Stefan Peltier: « Dynastie, Apologie de la démesure ».