Conçu en 1981, le feuilleton Dynasty ouvre une porte jusque là bien verrouillée à la télévision. Pour la première fois en effet, un spectacle télévisé destiné à un public familial, puisque sa diffusion était prévue pour une heure de grande écoute (tantôt 21 heures, tantôt 22 heures), place au premier rang des protagonistes un personnage homosexuel... et surtout, un personnage positif et sympathique. En effet, jusque alors, l’homosexualité est plutôt une caractéristique des méchants et des détraqués !
Même le cinéma, soumis à des contraintes différentes, et qui a pu se montrer plus audacieux, ne semble pas avoir eu cette audace, et les gays y sont rarement montrés en exemple, c’est le moins que l’on puisse dire ! Explicitement ou non désignés comme tels, les homos du cinéma sont cantonnés dans les rôles de criminels ou d’amuseurs de music-hall (voyez Cabaret), et cela, quel que soit le genre du film lui-même.
Dynasty compte cinq homosexuels, tous masculins, dans sa distribution. Le premier, le plus important, est Steven Carrington, personnage tout à fait central. Lorsque le feuilleton commence, Blake Carrington, le magnat du pétrole, n’a que deux enfants connus, sa fille Fallon et son fils Steven. Celui-ci étudie à New York, il a 23 ans, il est cultivé, il a du goût, il ne manque pas de courage, et il est plutôt « de gauche » (à la manière américaine tout de même, ce n’est pas un gauchiste), donc assez porté sur l’écologie. Son dernier amant en date se nomme Ted Dinard, un peu plus âgé, aussi cultivé que lui. Cependant, il semble que les deux garçons se soient séparés, l’initiative venant de Steven.
Blake apprend l’homosexualité de son fils, qu’il a probablement fait surveiller, de sorte qu’il lui bat froid lorsque ce dernier est convoqué au domicile familial pour le second mariage de son géniteur. Le fils honni ne saura que plus tard le motif de cette froideur. La sœur de Steven, apparemment, n’ignore pas les préférences de son frère, qu’elle aime tendrement, et cela lui est égal. Krystle, la future épouse de son père, lui est également favorable, car le jeune homme est aimable, prévenant, dévoué, et il est le seul à l’accueillir, non comme une étrangère, mais comme une amie.
Ted n’a pas renoncé à reconquérir Steven, se présente à Denver, rencontre Blake et Fallon, et finit par se faire tuer par le père furieux. Accident, intention délibérée ? On ne le saura jamais vraiment. Un procès s’ensuit, Blake est condamné, mais avec le sursis, et l’homosexualité de Steven est révélée à toute la ville. À ce détail près qu’entre-temps, il a perdu sa virginité avec Claudia, une femme de neuf ans plus âgée que lui. Et, peu après, il rencontre une fille de 17 ans, Sammy Jo, en tombe amoureux et l’épouse sans même en parler à son père.
Cette « conversion » est un premier recul devant les convenances. Il est probable qu’en 1981, le public américain n’est pas encore disposé à considérer comme normal un mode de vie minoritaire, et l’on connaît la virulence des associations anti-homos outre-Atlantique : des carrières politiques se bâtissent couramment sur ce thème porteur. C’est pourquoi le personnage de Steven va mettre en veilleuse son homosexualité pour plusieurs saisons... et perdre son interprète, Al Corley, qui estime à juste titre que le feuilleton devient un peu trop commercial, et démissionne.
Steven connaît donc une éclipse de huit épisodes, au cours desquels on le croit mort en Indonésie. Il reparaît, fait son retour à Denver et découvre qu’il a un fils, Danny. Son divorce avec Sammy Jo est prononcé, Steven obtient la garde de son enfant... mais c’est Blake qui veut la lui faire retirer, ne supportant pas que son petit-fils soit élevé par un homosexuel, serait-il son père naturel. Procès, que Steven va gagner. Son avocat Chris Deegan est aussi homosexuel, mais il ne se passera rien entre les deux hommes, qui deviennent simplement de bons amis. On peut dire que, depuis son mariage raté, le personnage de Steven Carrington observe une chasteté rigoureuse. En tout cas, le spectateur n’en saura rien de plus.
Mieux : pour conforter cette normalisation, Steven retrouve Claudia, sa première maîtresse. Elle est supposée veuve, à présent, car Matthew Blaisdel a disparu en Amérique centrale avec leur fille Lindsay, et leur voiture a été retrouvée incendiée dans la jungle. Steven épouse donc Claudia. Second mariage pour ce personnage homosexuel, auquel on n’a connu qu’une aventure masculine ! Parallèlement à cette évolution sentimentale, il connaît une évolution politique, puisque, faisant taire ses aspirations à l’écologie, il est entré dans les affaires pétrolières et s’est trouvé promu à un poste important. C’est dans le cadre de son travail qu’il rencontre Luke Fuller.
Luke est le type de l’amant idéal : beau, intelligent, droit, sûr de ses goûts. Il a certes été marié, comme Steven, puisqu’il semble acquis qu’un homosexuel de feuilleton ne peut qu’être indécis sur ses préférences. Les deux garçons, après une longue hésitation de l’héritier Carrington, entament leur vie à deux, et, bien sûr, Claudia divorce (elle tentera de se consoler avec Adam, le frère indigne de son ex-époux, mais cela ne fonctionnera pas mieux). L’intermède Luke Fuller marque une époque de Dynasty où la tolérance et l’acceptation de la différence sexuelle connaissent leur plus spectaculaire avancée, puisque l’amant de Steven, garçon il est vrai convenable en tous points, est accepté par Blake. On le convie à dîner, un dîner quelque peu guindé toutefois, et il fait même partie des invités lors du mariage en Europe d’Amanda Carrington, qui épouse un prince héritier.
Malheureusement, ce mariage, qui va tourner au tragique, sera fatal, tout à la fois, au personnage de Luke, et à la reconnaissance de l’égalité des droits dus aux homos : Luke est tué. La cérémonie de son enterrement est très émouvante, mais c’est la dernière fois que Steven aura l’occasion de manifester publiquement sa différence.
Le dernier garçon rencontré par Steven est Bart Falmont. Fils d’un homme politique influent, il projette lui-même de se faire élire sénateur, et dissimule ses goûts, même à sa famille. Une certaine attirance entre les deux hommes se manifestera, après une période d’hostilité réciproque, mais ne se concrétisera pas, au moins sur la durée correspondant à l’histoire. Bart verra cependant son secret éventé, si bien que sa carrière politique tournera court. Dans l’épisode de fin, La réunion, Steven et Bart vivent ensemble à New York, et le spectateur ignorera ce qui s’est passé entre-temps.
Dynasty ne compte aucun personnage homosexuel féminin.
De tout cela, on peut conclure que la production du feuilleton a fait une tentative d’ouverture envers les modes de vie différents, mais que cette tentative a très vite avorté, probablement sous l’influence des sondages. L’époque en était la cause principale. Aujourd’hui, bien des feuilletons et séries télévisées parlent de l’homosexualité, certaines productions comme Will and Grace ou Queer as folk en font même leur thème principal, au prix d’un certain aspect caricatural ou militant. Il n’en reste pas moins qu’en dépit de la pusillanimité des scénaristes, Dynasty ne caricaturait pas, et ce fut sans doute une avancée non négligeable.